Les débuts
Drap collectif, le tout premier envoyé à Fribourg au printemps 2004
Le projet a été lancé de la façon suivante : sur la base d’un projet de femmes précédent à Laghmani géré par la DAI, dans lequel des veuves pouvaient prendre des cours de coupe et de couture, je proposais qu’elles apprennent ou plutôt réapprennent la broderie à la main. Il s’agit d’une technique traditionnelle en Afghanistan, quoique toutes les femmes de toutes les régions ne la pratiquent pas (traditionnellement et selon les régions, les femmes font aussi du feutre, tricotent et nouent des tapis). C’est donc au hasard que l’essai avait été tenté dans ce village. Pour cela, dans le cadre du projet mentionné plus haut, deux femmes sachant encore broder ont été embauchées en tant que professeurs pendant 6 mois.
Les femmes de Laghmani avaient effectivement su broder, mais avaient abandonné cette technique traditionnelle dans la période des fuites répétées au cours des longues années de guerre (25 ans). Les priorités se situaient alors bien ailleurs !
Je donnais des indications par écrit (traduits à Fribourg en farsi*) accompagnées de matériel : du fils et du tissu, des gabarits. Lorsque ce premier drap est revenu, je réalisais qu’un petit miracle s’était produit : malgré les difficultés d’acheminement et de communication (à cause de la langue mais aussi de culture) les femmes avaient compris ce que je leurs proposais. Les carrés sont brodés avec la technique de Kandahar, une technique de passé plat, celle qu’elles brodaient encore un quart de siècle auparavant pour exécuter les bordures de leur tshaderi (burqa).
Pourquoi des carrés ? Parce qu’il fallait commencer le projet le plus simplement possible, il fallait se donner toutes les chances d’être comprise. De plus, l’aspect économique est fort important : cela revient très cher de faire voyager, aller et retour, les tissus et fils et en retour les broderies : la répartition bien gérée des carrés permet la meilleure rentabilité poids/prix. Techniquement, il est plus facile de broder dans le droit fil. Pour finir, le carré, en tant que forme basique, est la plus facile à intégrer dans un travail à réaliser en Europe.
*Une des deux langues officielles de l’Afghanistan est le farsi, un dialecte du dari provenant du perse ancien qui n’est donc seulement parlé qu’en Iran et en Afghanistan. Les femmes de Laghmani parlent le farsi. La seconde langue officielle est le pashto.
Les premiers points de broderie qu’elles reproduisirent furent ceux de la broderie Kandahar qui orne leur burqa ainsi que les plastrons des chemises des hommes. L’appellation « burqa » est arabe, en Afghanistan, le voile intégrale s’appelle « tshaderi ».
Les femmes retrouvent alors très lentement les gestes fins de l’aiguille, gestes qui ont disparu par cessation d’activité mais aussi parce qu’elles sont des paysannes qui passent du temps dans les champs à désherber et à récolter, activités difficilement compatibles avec la motricité fine de la main qu’exige la broderie. Leurs yeux de même perdent tôt l’acuité, aucune ne porte de lunettes.
La burqa bleue, ou tshaderi (appellation afghane), le voile intégral est encore porté par toutes les femmes des villages de Laghmani, et ceci, même si la loi ne l’exige pas : la tradition les y soumet.
Dans le haut quilt vert réalisé par Monika Schiwy de Freiburg (Allemagne) sont intégrés quelques uns des tous premiers carrés, encore monochromes, seul pour l’un d’entres-eux la brodeuse avait osé jouer avec les couleurs : les premiers prémices d’une liberté proposée pour leurs broderies mais qu’elles doivent encore oser prendre.
5 années plus tard, quelques femmes ont définitivement retrouvé leur aisance dans l’exécution des motifs traditionnels, voire inventé de nouvelles combinaisons de motifs.